Roissy est-il vraiment le pire aéroport du monde?

ENQUETE Les concepteurs de Roissy n’avaient anticipé ni l’ essor du transport aérien, ni la multiplication des contrôles. Aujourd’hui, le numéro sept mondial s’adapte aux besoins de ses 61 millions de passagers.

Zone de contrôle de Roissy (ADP)

Zone de contrôle de Roissy (ADP)

 Effet de la chaleur estivale qui écrase Paris? A la mi-août 2009, une rixe éclate à l’un des accès routiers menant au terminal 1 de l’aéroport de Roissy – Charles-de-Gaulle. Appelée en urgence, lapolice se précipite sur les lieux pour rétablir l’ordre. Par malchance, au même moment, plusieurs avions gros-porteurs atterrissent simultanément, avec un peu de retard pour les uns, un peu d’avance pour les autres. Résultat: ce sont 1.600 passagers qui débarquent en même temps.
Les effectifs de réserve de la police aux frontières (PAF) sont occupés à régler la bagarre, à l’extérieur de l’aéroport. Alors à l’intérieur, très vite, le chaos s’installe. Les agents de la PAF sont submergés. Parmi les voyageurs qui vont devoir attendre plus d’une heure, debout, entassés, enragés, se trouve Jacques Attali. L’économiste se fend le 24 août d’un billet assassin sur Slate.fr, où il énumère ses griefs contre Roissy, dont les moindres sont « une climatisation plus qu’approximative. Des guichets d’enregistrement presque impossibles à trouver parce que les panneaux annonçant leurs positions sont, plus souvent encore, en panne, et quand ils ne le sont pas, la position des guichets d’enregistrement est très mal indiquée. Seuls quelques SDF semblent trouver du plaisir aux sièges, rares, sales et inconfortables qu’on ose proposer aux voyageurs… ».
Violente, la charge de Jacques Attali, enfant gâté des airs et des lounges de First? Et pourtant, il n’en dit pas plus que ce que d’autres passagers plus anonymes, exaspérés par la somme d’anicroches qu’ils semblent systématiquement rencontrer dans l’aéroport parisien, répètent inlassablement sur nombre de blogs et de forums tout autour de la planète. « Le service de bus qui relie les terminaux les uns aux autres est une blague. Le personnel est grossier et s’amuse à faire semblant de ne pas comprendre l’anglais », se plaint par exemple, le 11 janvier dernier, A. Adi (Etats-Unis) sur le forum mondial Skytrax, qui note la qualité des compagnies aériennes et des aéroports. « Il est souvent impossible de dîner après 22 heures dans les terminaux. Le choix est limité et pas très bon. En salle d’embarquement, c’est pire, et hors de prix », proteste Uguy111 au même moment Sur Ditesnous.fr, le forum mis en place par Aéroports de Paris (ADP).
Selon un sondage de l’Association des tour-opérateurs de mars dernier, ces reproches sur les correspondances entre les terminaux et la piètre qualité de la restauration sont partagés par plus d’un quart des passagers! Mais surtout, ces derniers abhorrent les files d’attente. « C’est queue après queue. C’est inhumain de faire faire la queue aux gens comme ça! » s’indigne B. Goh, de Singapour, sur Skytrax en novembre dernier. Le nombre de plaintes et de reproches est si élevé que CNN en a conclu que Roissy était « l’aéroport le plus haï du monde » en novembre 2011. Un nouveau « prix citron » pour le malheureux aéroport, conspué par la presse avant même son ouverture, en 1974, et décrit comme un « camembert posé sur la plaine de France ».
Car CDG – son nom de code aéronautique – est la relique d’un passé déjà lointain. Quand le terminal 1 est inauguré, il est modestement destiné à désengorger Orly. Pas à devenir le septième aéroport mondial, avec 61 millions de passagers l’an dernier, dont plus de la moitié ne sont là que pour sauter d’un avion à l’autre. Personne ne pense encore l’aérien en termes de correspondance: on voyage d’une ville à l’autre, cela suffit. Le concept de hub sera formalisé vingt ans plus tard.
CDG est encore moins construit pour faire face à la menace terroriste: au contraire, il se veut fluide, court, avec des contrôles minimaux et moins de 100 mètres de distance entre le parking et les pistes (pour les premiers satellites 2), tocades de Paul Andreu, l’architecte qui a longtemps eu le monopole de la pensée sur la plaine de Roissy. En conclusion de son discours inaugural, prononcé à la place du président Georges Pompidou mourant, le Premier ministre Pierre Messmer avait eu cette envolée lyrique: « Le Concorde et cet aéroport expriment une même ambition: celle d’un pays qui a voulu d’abord et appris ensuite à épouser son siècle. » Mais son siècle, c’est le siècle dernier.
A l’époque, l’Etat s’est voulu prévoyant: il a implanté le nouvel aéroport dans une zone qui représente le tiers de la surface de Paris pour lui permettre de se développer. Bien lui en a pris: le transport aérien a explosé. Et Roissy, avec ses quatre pistes, tourne aujourd’hui à 75% de ses capacités à peine, alors que Londres Heathrow, premier aéroport européen, a atteint les 99,2 % en 2011.
En revanche, en 1974, personne ne réfléchit à la façon dont les passagers viendront prendre leur avion La réponse est alors évidente: en voiture. Roissy-Rail, qui deviendra la ligne B du RER, n’ouvrira que deux ans après. Ce manque de vision originelle, cette priorité donnée exclusivement à la voiture, explique la médiocrité actuelle des transports en commun.
Des passagers condamnés au RER B
Alors que tous les grands aéroports du monde ont des lignes spéciales qui les relient à la métropole la plus proche, CDG n’a jamais réussi à avoir son CDG Express. Ce n’est pas faute d’avoir essayé: en 2007 encore, le gouvernement avait lancé un appel d’offres, dans le cadre d’un partenariat public-privé, pour une voie ferrée entre la gare de l’Est et l’aéroport. Mais la SNCF et la RATP, protégeant leurs intérêts, ont méthodiquement savonné la planche des candidats.
La SNCF a d’abord réussi à intégrer un nombre ahurissant d’exigences dans le cahier des charges – la nouvelle ligne aurait été utilisée par les trains de fret, CDG Express devait être exclusivement conduit par des cheminots, la maintenance devait être assurée par la SNCF… Parallèlement, la RATPa brusquement lancé l’idée, dans le cadre du Grand Paris, d’un métro allant jusqu’à l’aéroport. De guerre lasse, et faute de garantie sur le financement nécessaire, le seul candidat suffisamment téméraire pour se présenter, Vinci, a jeté l’éponge en mars 2011. Condamnant les passagers au RER B, éternellement en travaux, et qui passe en grinçant par les banlieues les plus sinistres d’Ile-de-France, Drancy, Aulnay-sous-Bois, Villepinte… Bienvenue à Paris.
Mais Roissy ne reste pas sans réagir. « Le pire aéroport du monde? Cela ne correspond pas à ce que je vois », réfute Franck Goldnadel, directeur de la plateforme. « Dire que Roissy est nul, c’est intellectuellement malhonnête », cingle Nadine Joly, directrice de la police aux frontières, Bluetooth à l’oreille et téléphones à portée de main. « Il y a un certain snobisme à dire que Roissy est mauvais. En général, on rajoute que Singapour, c’est tellement mieux, ce qui permet de dire qu’on connaît l’aéroport de Singapour. Nous sommes là dans le mouvement d’humeur, pas dans la réalité », conclut Pierre Graff. Le PDG d’ADP brandit les enquêtes réalisées tous les trois mois par BVA depuis 2007, auprès de 8.000 passagers. En quatre ans, le taux de satisfaction des clients a grimpé de 7 points, atteignant 86% en 2011. Les enquêtes sont pour le moins complètes: il y a 29 questions uniquement relatives aux W-C…
Grands travaux d’amélioration
La contre-attaque d’ADP date en réalité de 2006. Du 15 juin exactement, jour de son introduction en Bourse. « Jusqu’alors nos moyens étaient limités et notre endettement était excessif », fait remarquer le PDG. Depuis, l’aéroport a eu les moyens de se lancer dans de grands travaux d’amélioration Entre 2006 et 2010, 3 milliards d’euros ont été investis. D’ici à 2015, 2,4 milliards supplémentaires seront mis sur la table. La rénovation du terminal 1 est bientôt terminée. Le terminal 2E, réservé aux lignes internationales, a été pourvu de deux nouveaux satellites, dont le prochain ouvrira fin juin, avec sept doubles passerelles pour accueillir des A 380. Le bâtiment reliant les terminaux A et C a été inauguré il y a quelques semaines, permettant de regrouper à un seul endroit l’inspection-filtrage et la douane. Le terminal 2B, où est installé easyJet, fermera à la fin de l’année pour rénovation. Peu à peu, l’aéroport arrive au bout de la réorganisation nécessitée par le brusque durcissement des normes de sûreté après les attentats du 11 septembre 2001. « Presque du jour au lendemain, il a fallu séparer les flux de passagers pour que ceux qui partent ne croisent plus ceux qui arrivent, monter des cloisons, organiser le contrôle de l’intégralité des bagages de soute et des passagers », rappelle Franck Goldnadel, qui dirige ces « aérogares pas conçues dans cet objectif », insiste-t-il. A l’inverse des plateformes les mieux notées du monde, Séoul et Singapour, achevées en 2008.
La contre-attaque d’ADP date en réalité de 2006. Du 15 juin exactement, jour de son introduction en Bourse. « Jusqu’alors nos moyens étaient limités et notre endettement était excessif », fait remarquer le PDG. Depuis, l’aéroport a eu les moyens de se lancer dans de grands travaux d’amélioration Entre 2006 et 2010, 3 milliards d’euros ont été investis. D’ici à 2015, 2,4 milliards supplémentaires seront mis sur la table. La rénovation du terminal 1 est bientôt terminée. Le terminal 2E, réservé aux lignes internationales, a été pourvu de deux nouveaux satellites, dont le prochain ouvrira fin juin, avec sept doubles passerelles pour accueillir des A 380. Le bâtiment reliant les terminaux A et C a été inauguré il y a quelques semaines, permettant de regrouper à un seul endroit l’inspection-filtrage et la douane. Le terminal 2B, où est installé easyJet, fermera à la fin de l’année pour rénovation. Peu à peu, l’aéroport arrive au bout de la réorganisation nécessitée par le brusque durcissement des normes de sûreté après les attentats du 11 septembre 2001. « Presque du jour au lendemain, il a fallu séparer les flux de passagers pour que ceux qui partent ne croisent plus ceux qui arrivent, monter des cloisons, organiser le contrôle de l’intégralité des bagages de soute et des passagers », rappelle Franck Goldnadel, qui dirige ces « aérogares pas conçues dans cet objectif », insiste-t-il. A l’inverse des plateformes les mieux notées du monde, Séoul et Singapour, achevées en 2008.
Une nouvelle crise de nerfs collective est pourtant imminente. A partir de juillet, lors d’un jeu de taquin géant, la plupart des compagnies aériennes vont changer de quartiers, et déménager d’un bout à l’autre de la plateforme dans un gigantesque chassé-croisé. Air France quittera définitivement les terminaux 2C et 2D, pour regrouper l’intégralité de son activité dans les terminaux 2E et 2F. Au terminal 1 seront réunies les compagnies de Star Alliance, Lufthansa, United et Singapore Airlines en tête. Dans les terminaux 2A et 2C reliés pour ne plus faire qu’un seul gigantesque bâtiment, ce sera dorénavant l’empire One world, avec British Airways, American Airlines et Cathay Pacifc. Pendant ce temps, la police aux frontières devra se redéployer entièrement dans les terminaux 2E et 2F. « L’été va être difficile, mais quoi qu’on en dise, depuis cinq ans, nous avons énormément progressé, se défend Nadine Joly, la volontaire patronne de la PAF. Nous avons absorbé 15% d’augmentation de trafic avec un nombre de fonctionnaires en baisse. Malgré cela, désormais, 94% des passagers passent la frontière en moins d’un quart d’heure. »
Ces résultats ont été rendus possibles par une coopération nouvelle entre la police et les compagnies aériennes: lors de briefings organisés trois fois par jour avant les heures de pointe, les compagnies donnent à la PAF le nombre de passagers qui vont arriver. Elles se chargent aussi de calculer le nombre de fonctionnaires de la PAF nécessaires pour contrôler les arrivants en fonction de leur nationalité – certains pays nécessitant des contrôles plus pointus. Nadine Joly a également introduit les circuits de contrôle parallèles pour les passagers de première et les VIP, un service que proposent la plupart des grands aéroports. « La Cour des comptes a jugé que c’était une rupture de l’égalité devant le service public, pointe le haut fonctionnaire. Mais je n’ai aucun problème avec l’idée de traiter différemment les grands capitaines d’industrie, qui font travailler des entreprises en France et à l’étranger. »
Les grands noms du luxe au 2A et au 2C
Il était temps d’adapter Roissy aux besoins des passagers, plutôt que d’adapter les passagers à Roissy. Les compagnies aériennes le savent bien, en particulier Air France, qui représente la moitié du trafic de l’aéroport, et participe désormais à la réflexion sur les services offerts aux passagers au sol. « Air France ne réussira pas sans ADP, rappelait en avril Alexandre de Juniac, le PDG d’Air France. Nous voulons que Roissy soit le hub le plus efficace du monde, où les voyageurs sont les mieux traités du monde. » Et ce sera encore mieux si leurs portefeuilles sont bien garnis…
Dans le nouveau bâtiment du 2 A et 2C, une avenue Montaigne bis rassemble tous les grands noms du luxe. En décembre dernier au 2F, une passagère asiatique a acheté six bouteilles de vin pour 49.905 euros: un Romanée-Conti 1995, un Château Margaux 2003, deux Château Lafitte 1982 et deux Petrus 1980. Un peu avant, un voyageur en partance s’était offert quatre montres, une Rolex or et diamant, deux Vacheron Constantin et une IWC en or pour 103.000 euros. Pas étonnant que le nouveau satellite du 2E – où le panier moyen frôle les 100 euros, six fois plus que pour la moyenne de l’aéroport – soit, lui aussi, pourvu d’une galerie de luxe, d’un restaurant Ladurée et d’un Caviar House & Prunier… Le temps où Paul Andreu cachait les rares commerces en sous-sol du terminal 2F, considérant qu’ils nuisaient à l’élan de son geste architectural, est révolu.
Pour le commun des mortels, voyageant en classe éco et vivant dans un pays en crise, l’offre a également été revue. Les bars et restaurants, d’ici à 2015, seront tous remplacés par des marques internationales – Starbucks, MacDo, EXKi… La Fnac va faire son entrée à Roissy dans les mois qui viennent. Près de 50.000 fauteuils ont été remplacés par des sièges en cuir. Et, last but not least, les W-C ont tous été changés.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *